— En coulisse
Patrimoine bâti : le bois mis en valeur dans la stabilisation des Nouvelles-Casernes
Construites entre 1749 et 1752, les Nouvelles-Casernes dans le Vieux-Québec représentent le plus grand bâtiment érigé par les autorités en Nouvelle-France. Cet édifice à vocation militaire a fait l’objet d’un important projet de stabilisation pour assurer sa pérennité. Préserver un maximum d’éléments existants de la structure, notamment les fermes de toit et la fenestration, s’est avéré une priorité pour l’équipe multidisciplinaire de professionnels qui a travaillé sur le chantier. Leurs travaux étaient en nomination dans la catégorie Héritage lors de la 8e remise des prix d’excellence du Centre d’expertise sur la construction commerciale en bois (Cecobois) qui s’est déroulée jeudi soir au Palais Montcalm, à Québec.
Arnaud Lévesque, responsable de chantier et conseiller en ingénierie pour la Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ), explique la valorisation du bois dans ce projet et les défis techniques rencontrés.
Quel a été votre plus grand défi technique pour stabiliser une structure datant du 18e siècle?
Arnaud Lévesque : On savait que la structure en bois avait déjà un certain vieillissement, mais l’état réel de dégradation sur certains éléments ne pouvait être connu que lors de la démolition. Par exemple, une partie du bois des fermes de toit était encastrée dans le mur de pierre, c’est vraiment en démontant le mur de pierre qui le soutenait que l’on a été en mesure d’analyser son état de dégradation et les mesures à prendre pour l’adapter à la reconstruction. C’est toutefois normal de s’ajuster aux conditions réelles quand on rénove une structure existante. Ça représentait quand même un défi de faire face aux mauvaises surprises.

Les fermes de toit représentent l’ensemble structural généralement triangulaire qui supporte la toiture.
Au bloc 7, on peut constater qu’une partie de la charpente existante a été conservée lors des travaux. Pourquoi ne pas reconstruire à neuf?
Arnaud Lévesque : C’est certain que ça aurait été plus simple et économique de démolir et de travailler avec du neuf que de reconstruire sur une structure existante. On voulait respecter le bâtiment d’origine, mais ça nous a causé quand même des contraintes. En fait, on s’est compliqué la vie, c’est certain. Mais c’était l’objectif depuis le début. C’est le principe de conserver son patrimoine bâti.
Dans quel état était la structure des Nouvelles-Casernes?
Arnaud Lévesque : Pour son âge, elle était quand même dans un état pas si mal. On parle quand même de 170 ans. Il y a une partie du bâtiment qui a été reconstruite au début du 19e siècle environ, mais quelques sections sont originales de 1750. Il faut mentionner qu’il y a eu un incendie majeur en 1851. Et pas mal tout ce qui est en bois a été démoli à cause des grands feux. […] Donc, la structure du bâtiment était encore en bon état, mais on a dû quand même pas mal reconstruire tout ce qui était en bois.
On suppose en fait que presque tout était original de l’époque de la reconstruction. On s’attendait à une plus grande dégradation, mais les incendies qu’il y a eu à cette époque – parce qu’il y en a eu plus qu’un – ont eu pour effet de protéger le bois, en partie. C’est venu torréfier des pièces de bois en les protégeant contre les moisissures, l’humidité. Donc, il y a une partie de bénéfices dans ce qu’on a vu. C’est certain cependant que les incendies ont pu causer d’autres précarités dans le bâtiment, notamment sur les pierres. Il a fallu inspecter la structure de fond en comble pour s’assurer qu’elle était encore viable.

Vue intérieure du niveau 2 du bloc 7, section du bâtiment visible de la côte du Palais.
D’où proviennent les poutres de bois d’ingénierie utilisées pour la stabilisation des Nouvelles-Casernes?
Arnaud Lévesque : Certaines poutres utilisées sont de bonnes dimensions. C’est sûr qu’on en voit moins aujourd’hui, au Québec. À une certaine époque, il y avait de grands arbres matures en pin, notamment, mais le dominion britannique les exploitait beaucoup, au Canada, pour les exporter en Europe. Il y a en avait dans les constructions, mais avec le temps, on a abattu tous les grands arbres matures.
Pour les Nouvelles-Casernes, j’ai l’impression qu’à l’époque, ils ont pu s’approvisionner localement avec les forêts résineuses qu’il y avait. Nous, ce qu’on a fait aujourd’hui, c’est sensiblement la même chose. […] C’est sûr qu’on avait certains critères. Ce qu’on sait, c’est que l’entrepreneur a pu s’approvisionner dans la région de l’Est du Québec. Le défi qu’on a eu avec le bois, c’était davantage sur le plan économique que de l’approvisionnement. On était en pandémie. Le prix du bois a explosé. Mais c’était un problème ponctuel, à cause de la pandémie.
On valorise de plus en plus l’utilisation du bois en architecture. Est-ce que ça représente un défi supplémentaire pour les architectes?
Arnaud Lévesque : Souvent, dans le bâtiment, le bois, c’est apprécié parce que tu peux jouer avec, justement. Il a de la maniabilité, il a sa légèreté qui est vraiment facilitante. Les ouvriers manuels sont capables de travailler de leurs mains, de transporter du bois, de le modifier, ce qui est plus difficile à faire avec l’acier, beaucoup plus lourd. L’aluminium, qui est beaucoup plus cher, une fois bâti, va garder sa forme. Le bois, les artisans, les charpentiers, les menuisiers vont être capables de le modifier à leur guise, de l’ajouter au chantier. Les contraintes en bâtiment qu’on peut rencontrer, par contre, sur l’utilisation à long terme, c’est la résistance au feu. Donc, un bâtiment en bois va être plus à risques, normalement, qu’un bâtiment en acier ou en béton. Il est aussi plus vulnérable au grand écart des températures qui peuvent amener de l’humidité et de la condensation.
Qu’avez-vous appris sur les méthodes de construction de l’époque en solidifiant la structure existante?
Arnaud Lévesque : Je dirais que ce sont les techniques de fabrication qui m’ont le plus surpris personnellement. On a vu un travail d’artisans d’une certaine époque qu’on fait de moins en moins. Aujourd’hui, on industrialise beaucoup. On fait en sorte que le bâti en bois ait le moins de manipulations possible, surtout au chantier. Donc, la qualité va être contrôlée plus en usine, et c’est plus en accéléré. Les artisans de l’époque travaillaient vraiment sur place. Ils arrivaient à découper des bois et à les imbriquer les uns dans les autres, mais ça nécessitait plus de main-d’œuvre. Quand on regarde de vieux bâtiments, ça nous permet d’apprécier vraiment le travail qui a été fait.

Avez-vous pu constater que ce bâtiment a été construit avec des techniques propres aux régimes français et britanniques?
Arnaud Lévesque : On le constatait clairement en faisant l’analyse du bâti existant. Il y a un gros travail qui s’est fait en amont entre les gens de la CCNQ, nos historiens et architectes, et les firmes d’architectes et d’ingénieurs. Donc, il y a eu un fort désir de tous, incluant le ministère de la Culture et des Communications, de représenter ces deux époques-là. Parce qu’il y a une partie des Nouvelles-Casernes qui est authentique du Régime français, même si on la voit moins. Il y a aussi une bonne partie du bâtiment qui remonte au Régime britannique, surtout durant sa reconstruction. C’était important quand même de se remémorer les deux. Tant en phase 1 qu’en phase 2, il y a eu beaucoup de rigueur à faire en sorte que le bâti britannique soit conservé tel quel, mais que le bâti français puisse aussi être représenté.
Que retenez-vous, comme ingénieur, de ce chantier très particulier?
Arnaud Lévesque : Dans mon cas personnel, c’est ce qui m’a attiré à la CCNQ. Pour moi, ç’a été comme une espèce de séduction. J’avais l’occasion de travailler sur un bâtiment qui a entre deux et trois siècles d’âge, de travailler avec des artisans de différentes spécialités : des historiens, des archéologues et des corps de métier spécialisés dans le patrimoine. C’est une occasion unique.
Nous soulignons le travail de STGM Architecture, Tetra Tech, Rainville et frères ainsi que tous les partenaires qui ont participé à ce chantier de la CCNQ. Félicitations à l’équipe de projet du Parc Historique de la Pointe-du-Moulin (Montérégie) qui a remporté le prix d’excellence Cecobois dans la catégorie Héritage.
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